Binta Kaké : D’attaché de presse à… Créatrice de Mode luxe et Ecrivaine
Après une carrière d’attaché de presse dans les grandes maisons de luxe en France, Binta réalise un rêve fou : créer une marque de vêtements luxe Africaine éco-responsable.
Le pari ? Démontrer qu’élégance et respect de la nature sont compatibles en proposant une ligne de prêt à porter fraîche et moderne qui peut être portée à Accra, Milan, New-York ou Shanghai. Et le résultat est exceptionnel !
Multipotentielle, Binta est aussi écrivain et a écrit une série de trois livres dont un est publié sur Amazon. Dans cet entretien, elle nous parle de son amour pour les mots et du rapport que les femmes noires ont à l’écriture.
Retour sur son engagement entrepreneurial, et l’équilibre qu’elle a trouvé, grâce à l’écriture.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Je suis d’origine Guinéenne, je suis née et j’ai grandi en France. Mon père est arrivé à la période de l’indépendance, et ma mère, un peu plus tard dans les années 70. Ils se sont rencontrés à Paris. Je suis le pur jus de cette génération Française qui est à cheval entre deux cultures. J’ai grandi à Paris, j’ai été scolarisée dans des écoles privées catholiques à une époque où il n’y avait quasiment pas de personnes noires dans ces établissements mais je ne me suis jamais sentie marginalisée. Ça montre aussi l’ouverture d’esprit de mes parents qui sont de confession musulmane.
A la maison, l’ambiance était tout de même imprégnée de la culture Guinéenne, on parlait le Peulh, la langue maternelle de ma mère, c’est d’ailleurs comme ça que je l’ai appris.
J’ai toujours eu une âme créative, depuis toute jeune. La première passion qui ressortait était l’univers de la mode et du luxe. J’ai fait une licence en Communication obtenue à la Sorbonne et un master en Médiation Culturelle dans un établissement spécialisé dans les métiers de l’art et de la culture. Alors que j’étais encore étudiante, j’ai eu l’opportunité de faire mes premiers stages dans des maisons de couture comme Chloé et Gucci et j’ai eu mon premier emploi chez Ralph Lauren au service Presse et Communication. J’ai fait un court passage chez Christian Dior avant de m’envoler pour New-York avec mon époux qui a décroché un poste là-bas.
Il a fallu recommencer à zéro à commencer par perfectionner mon anglais, faire des stages et parallèlement chercher un poste. Au bout d’un an, j’ai rejoint la marque Altuzarra en tant que manager en relations presse.
J’ai également entamé une formation en Brand Management au Fashion Institute of Technology (FIT), en cours du soir, ce qui m’a permis de commencer le business plan de la marque de vêtements que mon époux et moi avions pour projet de fonder.
Quel a été le déclic pour passer à l’entrepreunariat ?
Nous sommes restés près de 5 ans àNew-York. Lorsque qu’une opportunité de poste s’est présentée au Nigeria, nous avons fait le pari de prendre ce risque. Nous avons pu ainsi découvrir de plus près le monde créatif et textile sur le continent, évaluer le marché de la mode et concrétiser les fondements
de la marque.
C’est à Lagos en 2015 que j’ai fait mes premiers croquis, peaufiner l’image de la marque et positionnement, puis plus tard à Accra, j’ai effectué la visite d’ateliers de confection. Nous avons fait nos premiers prototypes entre la France et le Ghana. Parce que notre objectif était de pouvoir répondre à la demande internationale et d’offrir un produit de haute qualité, notre voyage à l’Ile Maurice a également été décisif dans l’enregistrement de notre marque et la mise en place de partenariats durables avec des usines. En 2018, SEKBI Bogolan a pu être enregistré officiellement.
Les designers Africains sont de plus en plus audacieux. Ils affichent une vraie volonté de faire du “Made in Africa”, tout en sortant des sentiers battus pour toucher un public plus cosmopolite. Etre en terre Africaine nous a énormément inspiré et nous sommes fiers de faire partie de cette nouvelle génération créative !
Qu’est-ce-qui fait la spécificité de vos créations ?
Nos créations sont directement inspirées du Bogolan, très présent au Mali. C’est un art textile traditionnel qui remonte à plus de 400 ans. Nous avons visité des coopératives de bogolan à Ségou pour nous imprégner de son histoire, de sa symbolique mais aussi de sa dimension éco-responsable dans le processus de fabrication.
Notre imprimé-signature est donc unique, entièrement conçu selon notre esthétique, il reprend des symboles qui existent dans l’art du bogolan, nous les avons juste modernisés afin de les rendre plus accessibles et universels.
Nos matières sont sourcées avec soin auprès de fournisseurs certifiés et soucieux du développement durable qui proposent des tissus de qualité supérieure, ce qui par ricochet garanti notre identité éco-responsable.
Les pièces SEKBI Bogolan peuvent être portées au quatre coins du monde de Accra, à Paris en passant par Londres, Milan ou Shangai !
Pouvez-vous nous définir ce qu’est le luxe ? Il y a-t-il vraiment un marché du luxe en Afrique : c’est un mythe ou une réalité ?
Le luxe c’est avant tout une expérience. Que ça soit nos campagnes publicitaires, nos réseaux sociaux, notre site ou l’accueil lors de ventes organisées, nous ne laissons rien au hasard. La/le client(e) SEKBI doit se sentir privilégié(e) et se laisser embarquer dans notre univers.
Ensuite, il y a bien-sûr le choix des tissus et matériaux. En plus de répondre à des standards supérieurs, nous mettons un point d’honneur à respecter l’environnement et prendre en compte les effets négatifs que peut avoir l’industrie textile sur ce dernier. C’est pourquoi le sourcing est méticuleux et très sélectif pour maintenir notre niveau d’excellence.
Nous prenons en compte la qualité des matières, la société qui s’occupe de l’impression de notre motif est certifiée Oeko Tex, utilisant des produits non toxiques tout en étant consciente de la quantité d’énergie et d’eau utilisées. Des conditions de travail saines pour nos collaborateurs et usines partenaires sont également indispensables.
Enfin, lorsque nos clients passent commande, nous apportons une attention particulière au packaging et la présentation des collections.
Il y a une demande de plus en plus forte en Afrique pour le luxe, au cours des dernières années une clientèle aisée et cosmopolite a vu le jour et souhaite investir dans des pièces de qualité et longue durée, cependant il y a encore un gros travail de communication à faire pour que cet attrait pour la création luxe Africaine se démocratise.
Comment avez-vous trouvé vos premiers clients ?
Nous avons eu la chance d’avoir le soutien de notre réseau, incluant la famille et les proches, tout s’est fait naturellement. Cela dit, les réseaux sociaux sont le vecteur principal pour trouver nos clients, c’est pourquoi nous sommes très actifs et stratégiques dans notre communication.
Nous organisons aussi des ventes au sein de nos points de vente afin que nos clients établis et potentiels puissent venir toucher et essayer les vêtements mais aussi comprendre la marque et la vision. Nous sommes actuellement vendus chez VIVA Boutique à Accra au Ghana où nous organisons régulièrement des évènements.
Comment vous est venue l’envie d’écrire ?
L’écriture a toujours été omniprésente dans ma vie. J’ai tenu des l’enfance des journaux intimes et plus tard des carnets. L’écriture m’a très vite permis de coucher sur le papier mes états d’âmes, mes émotions… J’ai aussi toujours aimé imaginer des histoires, des scénarios avec des personnages, je pouvais passer des heures à rêvasser.
Avec le recul, je crois que mon parcours d’écrivain a commencé là.
Mon père, qui nous a quitté, était journaliste, historien spécialisé sur l’Afrique et écrivain. Il était très influent dans son domaine et animait une émission sur RFI (Radio France International). Et je dois dire que par son aura, je sacralisais beaucoup la profession d’écrivain.
J’ai longtemps perçu l’écriture comme étant réservée à une élite qui avait fait de hautes études littéraires. Je n’avais pas, non plus, de femmes noires auxquelles m’identifier : l’univers de la littérature c’était surtout l’apanage des hommes, en général blancs relativement âgés. C’est beaucoup plus tard que j’ai heureusement découvert des écrivaines comme Chimamanda Ngozi
Adichie, Toni Morrison, Maya Angelou ou encore Maryse Condé.
Comment vous est venue l’idée de l’histoire de votre premier livre?
J’ai commencé la rédaction de L’AUTRE quelques mois après la naissance de mon deuxième enfant en 2018. J’avais déjà fait des tentatives de manuscrits mais sans succès. C’est la première fois que je tenais une histoire de A àZ et que je visualisais parfaitement les personnages, l’intrigue, son déroulement…
Je l’ai écrit en à peine deux mois et il m’a fallu quelques mois de plus pour faire toutes les corrections et les réécritures. Ce livre est le premier d’une série de cinq (je pense à le condenser pour sortir trois volets).
J’ai fait le pari de me lancer dans le registre délicat de l’érotisme encore peu exploité par les écrivains afros. Même si au cours de l’histoire et des livres, on en sort vite et ça reste un détail, ça a quand même son importance lorsque l’on est une femme noire qui écrit certaines choses.
J’ai choisi de prendre un pseudonyme et au début il n’était pas prévu que je montre mon visage mais plus j’avançais dans mon projet, plus j’ai ressenti le besoin d’assumer mon travail et mon style d’écriture. Mon alter ego m’a aussi beaucoup poussée à affronter la peur et revendiquer cette part de moi !
L’AUTRE c’est avant tout une histoire d’amour entre une femme et un homme qui s’étend sur plusieurs années. Le premier volet se focalise sur une liaison brève et intense entre les deux personnages à un moment clé de leur histoire. On est presque dans le registre du journal intime. Au fil des livres, j’ aborde les thématiques de la double culture, grandir et évoluer dans un pays autre que celui de ses parents, l’intégration, l’amitié, les premiers émois sexuels, la quête de soi etc…
Que pensez-vous du rapport que les femmes noires ont à l’écriture ? Pourquoi avez-vous choisi le genre érotique ?
J’aime l’idée d’écrire pour créer un monde parallèle et de transporter les lecteurs, j’aime provoquer aussi. On ne s’autorise pas à explorer certaines sphères. Il faut que ça change !
A l’avenir j’ai envie d’encourager les écrivaines en herbe, surtout les femmes noires, à écrire leurs propres histoires. Je n’exclus personne mais je sais que, nous les femmes noires en avons vraiment besoin. Récemment, une jeune auteure m’a fait part de son texte qu’elle a voulu que je lise après avoir écouté mon entretien pour AfroLivresque.
C’était délibéré d’écrire librement et de me débarrasser d’une certaine pudeur, de tabous et surtout montrer la passion entre deux personnages noirs. Le réalisateur Spike Lee m’a beaucoup inspirée. Il a été l’un des premiers à montrer qu’il peut y avoir de la tendresse et de l’amour entre des personnes
noires à travers des scènes explicites et à montrer une image de la femme noire libérée sexuellement et indépendante à une époque où ça ne se faisait pas ; je pense au personnage de Nora Darling dans She Gotta Have It.
Pouvez-vous nous décrire votre semaine : comment conciliez-vous vos 2 activités ?
Ca dépend des périodes. Mais ces derniers temps, l’écriture représente en général 70 % de mon activité.
Il y a aussi des périodes pendant lesquelles SEKBI prend le dessus.
Pendant le confinement par exemple, je me suis pas mal occupée de la communication sur les réseaux sociaux de la marque. J’ai pu me consacrer en majeure partie à l’écriture et, j’ai écrit mon premier roman en anglais ce qui m’a demandé un effort considérable : c’était un défi que je tenais à relever !
Dès que j’ai du temps et de l’énergie, je me mets face à l’écran et je pratique l’écriture intuitive, je laisse l’inspiration parler.
Quel est votre prochain projet d’écriture ?
J’en ai deux ! Ceux-là seront complètement différents, cette fois-ci ça ne sera pas de l’érotisme, comme quoi je ne fais pas que de l’érotisme (rires). Je suis sur mon roman écrit en anglais en ce moment, relatant les aventures d’une jeune journaliste Afroparisienne qui rêve de devenir une auteure reconnue et qui cherche en parallèle à se trouver tout en vivant une vie amoureuse riche en émotions.
Pour le deuxième projet, il s’agit d’une fiction inspirée de la vie de mon père, parti de pas grand-chose et qui a réalisé son rêve d’écrire et de redonner à l’histoire de l’Afrique, ses lettres de noblesse.
Je pense que la jeunesse a besoin de lire des histoires d’héros noirs contemporains auxquels elle peut s’identifier. Ce projet d’écriture me tient beaucoup à cœur et j’espère pouvoir m’y consacrer pleinement l’année prochaine.
Avez-vous des petits rituels d’écriture ?
Comme j’ai des jeunes enfants, ce n’est pas toujours évident. Je suis le conseil de la célèbre écrivaine Américaine Virginia Woolf qui dit qu’une femme écrivaine doit ‘avoir une chambre à soi’.
J’ai la chance d’habiter dans une maison, je m’installe dans ma chambre juste en face de la fenêtre qui fait face à des arbres. J’ai toujours mon verre d’eau ou mon petit café, j’essaie de prendre quelques minutes pour marquer un moment de coupure et faire le calme. Avec un peu de chance, si les enfants ne rentrent pas dans la chambre, je peux écrire une heure d’un trait sans même m’en rendre compte.
C’est le rituel le plus important pour moi : me retrouver dans une pièce face à moi-même pour écrire.
Que retenir du parcours de Binta ?
- Si vous avez plusieurs passions, que vous êtes slasheuse, vous ne rentrez pas dans une case ! Il y a autant de parcours que de personnes, il ne tient qu’à vous de déterminer le vôtre.
- Prenez le temps nécessaire à la construction de votre projet, ne vous précipitez pas.
- Soyez vous-même, détachez-vous du regard des autres. Plus vous ferez ce travail d’acceptation de cette nouvelle vous, plus les autres vont transitionner eux aussi et accepter ce changement.
- Aucun rêve n’est trop grand ! Binta a eu l’audace de réaliser un projet ambitieux et de passer du rêve à la réalité, comme peu d’entrepreneuses osent le faire. Une femme qui nous rappelle que nous pouvons, nous aussi, décrocher les étoiles.
Ou là trouver ?
SEKBI Bogolan
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YoutubeMATIFA AKIN AUTEURE
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