Yacine Bio-Tchané : D’Analyste Financier à Consultante Internationale

OH MY FLOW
9 min readMay 13, 2020

Yacine a créé son cabinet de consulting en finances après avoir travaillé une dizaine d’années dans les secteurs public et privé en Afrique. Elle raconte les grandes étapes de ce changement, et comment elle est parvenue à se créer un portefeuille de clients à l’international. Elle nous dit aussi comment elle organise en parallèle sa vie de jeune maman, une expérience particulièrement marquante qui l’a poussé à redéfinir sa trajectoire professionnelle et à co-écrire avec son amie d’enfance l’ouvrage ‘Grossesse et Maternité : expériences de deux Afropolitaines’. Enfin, elle nous partage ses meilleurs conseils pour construire sa carrière en tant que femme Africaine.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

J’ai fait tout mon collège au Sénégal où j’ai obtenu mon baccalauréat scientifique au Cours Sainte Marie de Hann. J’ai ensuite poursuivi par une licence en Economie aux Etats Unis et j’ai terminé mon cursus par un Master en Development Management en Grande-Bretagne, à la London School of Economics.

Après l’obtention de mon diplôme, j’ai participé à un programme sélectif, le ODI Fellowship, qui place de jeunes économistes dans des Ministères sectoriels / des finances Africains en demande de ressources humaines qualifiées. C’est ainsi que j’ai été recrutée par le Trésor Public en Afrique du Sud en tant qu’Analyste Financier, j’ai occupé ce poste pendant 2 ans et demi.

Ensuite, je suis ensuite rentrée au Bénin, mon pays d’origine où j’ai d’abord travaillé pour un centre de recherches car je projetais de faire un doctorat et cela me paraissait être un environnement stimulant pour ce projet. Finalement, cela n’a pas abouti. En 2011, je décide alors d’intégrer un cabinet de conseil en finances et économie fondé par mon père et que mon jeune frère rejoindra également plus tard. Travailler dans une entreprise familiale me donnait une grande marge de manœuvre pour créer un environnement de travail plus souple pour moi et mes collaborateurs.

Ainsi, lorsque j’ai eu mon premier enfant, j’ai pris l’initiative d’aménager en interne un petit espace repos/jeu pour ma fille afin de reprendre le travail sereinement. J’avais l’opportunité de l’avoir près de moi toute la journée, d’allaiter, de prendre des pauses câlines, de suivre son alimentation et ses premiers pas, etc. La maternité est une expérience qui m’a transformée si bien que lorsque je racontais au milieu de la nuit à mon amie d’enfance Aminata tout ce que j’apprenais de la mamie qui lavait ma fille avec des racines et de manière traditionnelle ou les conseils que je lui demandais ayant été maman avant moi, nous avons décidé de partager notre expérience avec le monde. On visait les jeunes femmes africaines qui voulaient garder certaines pratiques traditionnelles tout en poursuivant leur vie moderne dans les quatre coins du monde.

Mais surtout on voulait briser le tabou afin que chaque femme puisse mieux préparer ces étapes délicates de la vie.

Quel a été le déclic pour passer à l’entrepreunariat ?

Je ne peux pas dire qu’il ait eu de déclic en tant que tel. Cela s’est fait au fil du temps, de manière naturelle. J’étais habituée à voir dans mon environnement de travail mon bébé, à allaiter, et avoir le temps de la déposer et la récupérer à la crèche. Je ne concevais pas de faire les choses autrement lorsque j’ai eu mon second enfant. M’installer à mon propre compte me permettait de maintenir ce lien privilégie, c’était une évidence.

Et puis, après mes 7 années d’expérience en cabinet, j’avais travaillé sur des missions variées aussi bien avec des entreprises que des institutions publiques et privées sous l’aile de mon père. A présent qu’il passait à autre chose et que je voulais une indépendance professionnelle pour travailler sur des projets qui me correspondaient mieux en toute liberté, j’ai sauté le pas. Mais pas n’importe comment. J’ai attendu d’avoir une ou deux sollicitations qui couvraient mes charges et me permettaient de tenir quelques temps et j’ai mis à jour mes profils professionnels et posté mon CV sur diverses plateformes. Des organisations ont commencé à me solliciter pour des prestations et c’est ainsi que j’ai gagné en confiance et que commencé à offrir une palette de services : cela allait de simples consultation, à des études pour mieux comprendre les marchés Africains en passant par l’accompagnement des startups/PME pour préparer leur mobilisation de fonds auprès d’institutions financières. Je me suis donc trouvée des bureaux et que j’ai recruté une petite équipe pour commencer mon activité indépendante, voilà comment c’est parti.

Et sur ce point précis, je tiens à dire, qu’en tant que femmes trop souvent nous doutons de ce que nous pouvons faire seules.

Cela ne veut pas dire que vous ne devez pas vous faire accompagner pour monter votre entreprise, c’est même essentiel. Mais sachez que par vous-même, vous pouvez accomplir beaucoup et il ne faut surtout pas hésiter à se lancer lorsque vous vous y êtes préparées.

Comment avez-vous trouvé votre voie ? Les finances, cela a toujours été une évidence pour vous ?

Oui. Je viens d’une famille de financiers comme je vous le disais, donc je suis aussi tombée dans la marmite assez naturellement.

J’aime les chiffres aussi. Contrairement à la conception de ce qu’on pourrait se faire, ce n’est pas juste l’argent c’est bien plus que ça. En réalité, l’économie touche directement à notre bien-être, à notre niveau et qualité de vie. Lorsque vous n’avez pas un revenu décent, vous ne pouvez pas prendre soin de vous-même et beaucoup de choses ne sont pas alignées dans votre vie. Un revenu, une progression sociale permettent aussi de préserver votre dignité.

Les inégalités causées par les problèmes économiques est une question qui m’interpelle tout particulièrement. Je pense que les femmes devraient être mises au courant des diverses options financières qui sont à leur portée.

En mars 2018, j’ai créé un programme « Femmes & Finances » auquel je dédie une après-midi par mois et 20 minutes de séance individuelle à chaque femme afin de parcourir leurs finances.

Je réponds à leurs questions, je leur parle de divers produits et les oriente sur les meilleures pratiques financières.

Comment avez-vous trouvé vos premiers clients ?

Mon premier client était mon ancien employeur, d’où l’importance de préserver de très bonnes relations de travail même après un départ et de donner de ses nouvelles professionnelles. Elles peuvent être sources de références et de recommandations mais également de tout un tas d’opportunités professionnelles. Mon second client m’a contacté après avoir vu mon CV sur une plateforme et après un bref entretien m’a recrutée.

Mon portefeuilles clients s’est justement étoffé par des recommandations. Je dirais que c’est par ce biais que j’ai obtenu les 3/4 de mes clients.

Le reste de mes clients m’ont connue soit à travers une présentation, soit lors d’une participation à un panel ou à la lecture d’un article que j’ai publié. Je conseille d’ailleurs fortement de s’investir dans la création de contenu de qualité sur les réseaux sociaux. Cela permet de démontrer son expertise et d’agrandir votre cercle professionnel : c’est une excellente vitrine pour votre entreprise ou pour vous-même.

Comment vous êtes-vous construit un portefeuille de clients à l’international ?

C’est vrai que mon expérience à l’étranger y est pour grand-chose. Mais j’ai tout simplement misé sur le fait d’être bilingue. Je me suis spécialisée auprès de clients anglophones qui ont besoin de mon expertise sur la connaissance des marchés francophones. La plupart de mes missions de consultance se déroulent à l’étranger, c’est pour cela que je suis amenée à voyager pour mon travail.

Pouvez-vous nous décrire votre journée ?

Alors, en réalité j’en ai deux. Rires. Le premier scénario c’est quand je suis à Cotonou. Le second, c’est quand je suis en mission à l’étranger.

A Cotonou, une journée type commence par la prière, le réveil des enfants, le bain, le petit déjeuner, et l’habillage. Je les dépose moi-même à l’école et je me rends à mon bureau pour commencer ma journée de travail. Je fais la journée continue jusqu’à 17 heures. Je vais récupérer les enfants et soit on rentre soit je retourne au bureau finaliser des réunions ou dossiers. Une fois à la maison : c’est le diner, le bain du soir et le coucher. Je m’accorde à ce moment-là du temps pour moi-même et aussi pour ma vie de couple.

A l’étranger, le rythme des enfants est maintenu. J’ai toujours le même rituel avant chaque mission : je fais asseoir mes enfants et je prends le temps de leur expliquer que je voyage parce que je vais aller travailler, je leur parle du pays où je vais et ils comprennent cela maintenant. Ils m’accompagnent à chaque fois jusqu’à l’aéroport ou viennent me chercher quand mon vol est dans la journée. Il est important pour moi de garder le contact pour leur montrer où je suis ou pour réviser les devoirs avec ma fille, nous nous parlons par Facetime. C’est le papa qui prend le relai pendant la semaine quand je suis absente et le weekend, nous veillons à ce que nos enfants soient entourés et voient leurs petits cousins, passent du temps chez leur grand-père ou vont découvrir une ville du Bénin. Tout est donc organisé autour de la famille lorsque je ne suis pas présente et ça fonctionne plutôt bien.

Quelle est la plus grosse difficulté que vous avez rencontrée ?

J’ai eu des difficultés financières dans mon parcours d’entrepreneuse. J’avais fait un investissement qui n’a pas été concluant, j’ai eu des clients qui ont refusé de payer leurs prestations, j’ai eu des clients qui n’étaient pas satisfaits que les résultats d’une étude ne s’alignaient pas à ce qu’ils voulaient entendre, ce n’était pas évident du tout. Mais on peut toujours rebondir malgré les difficultés que l’on rencontre. Il faut apprendre de ses erreurs et adopter des approches différentes, il faut bien cerner son client dès le début et savoir comment le prendre et il faut sceller des contrats clairs et prendre toutes les dispositions, y compris légales, pour se faire payer.

Je dois dire que les femmes ont un rapport un peu compliqué avec l’argent, nous avons tendance à être trop altruistes ou à ne pas assez se valoriser. Il est essentiel d’assainir ce rapport si voulons bien gérer les entreprises que nous mettons sur pied afin qu’elles fleurissent. Les femmes dépensent beaucoup mais elles font rarement des investissements tournés vers le long terme pour assurer leur sécurité financière personnelle. Elles réclament souvent bien moins d’argent qu’un homme à compétences égales (ou pas), etc.

Il est temps qu’elles aient une vraie éducation financière pour qu’elles puissent êtes autonomes et plus aisées.

Quels conseils donnez-vous à une femme encore salariée qui souhaite se lancer ?

Conseil n°1 : il faut bien se préparer et répondre aux questions fondamentales : pourquoi se lancer ? quelle est sa valeur ajoutée ? comment se positionner sur le marché ? combien faut-il mobiliser pour tenir financièrement les 6 premiers mois ? quelle est sa grille tarifaire ?

Conseil n°2 : il faut toujours faire ses preuves. Quand on est une femme, rien n’est acquis, au contraire on doit travailler 4 fois plus durs pour prouver qu’on mérite sa place. Il est important de donner le meilleur de soi, d’être performante et professionnelle pour réaliser ses aspirations professionnelles.

Conseil n°3 : il faut ouvrir les portes à d’autres femmes.

Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis trouvée étant seule femme assise à une table d’hommes pour des opportunités extraordinaires.

Honnêtement, je me sens très privilégiée car mes mentors ainsi que les hommes dans ma famille me font confiance, m’incluent dans des conversations stratégiques ou des deals, etc. Cela me fait prendre conscience de l’importance pour nous les femmes de nous entraider si nous voulons évoluer. Ces hommes autour de la table se sont fait appel, nous devons aussi penser les unes aux autres. A l’échelle de ma personne, j’essaie dans la mesure du possible d’aider d’autres femmes à trouver des opportunités, des financements, des postes, etc. Je privilégié toujours un profil féminin.

Conseil n°4 : il faut avoir des mentors femmes c’est vrai mais aussi des hommes, c’est vital. Vous savez les hommes sont beaucoup mieux resautés, il y a un système qui est mis en place et qui fonctionne parfaitement. Bien évidemment, nous gagnerions toutes à développer le mentorat entre femmes mais nous devons aussi nous appuyer sur la gente masculine pour évoluer professionnellement. Par ailleurs, la réalité c’est que les hommes sont ceux qui sont en majorité à des postes de responsabilités donc nous devons impérativement en faire des alliés si nous voulons nous faire une place et réussir.

Que retenir du parcours de Yacine ?

- Au moment de se mettre à son propre compte : se demander vers quel univers on souhaite aller, quelles sont nos forces sur lesquelles on peut s’appuyer, et ce qui nous manque encore pour y parvenir

- Il est important de démissionner en bons termes avec son employeur et ses collaborateurs. Toutes les personnes avec qui vous avez travaillé : collègues, interlocuteurs externes, clients, peuvent potentiellement enrichir votre réseau professionnel

- Tirer profit des réseaux sociaux pour créer du contenu de qualité : article, étude, publication… pour démontrer son expertise et attirer des clients potentiels

- Se créer un entourage d’entrepreneurs et de mentors sur lesquels s’appuyer est indispensable pour être soutenue et abattre les barrières invisibles qui bloquent la carrière des femmes

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Version française du livre ‘Grossesse et Maternité : Expérience de deux Afropilitaines’

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